La crise grecque et le mensonge d'Ulysse

Publié le 12 Juillet 2015

La capacité de la caste politico-médiatique à travestir la réalité ne cessera jamais de m'ébaubir. Ce talent à transformer le réel pour le plier à une idéologie, cette habileté à revêtir les mots d'un autre sens – contraire –, cette aisance à défendre une opinion pour la renier ensuite, suscitent chez moi, je dois l'avouer, une certaine admiration. 

Prenons, par exemple, cette crise grecque dont on ne laisse pas de nous rebattre les oreilles depuis quelques semaines. Il y a plus de cinq ans, lorsque la France était gouvernée par Naboléon Ier, les irresponsables de l'Union Européenne et du FMI promirent – promesses orales, bien entendu, car nos amis européistes du camp du bien, connus pour leur droiture et leur rectitude, sont au-dessus de tout soupçon – aux dirigeants grecs d'alléger le poids de la dette grecque en échange d'une réduction du déficit primaire (le lecteur m'excusera pour la technicité des termes, mais gageons que consciencieux comme il est, il fera l'effort d'aller butiner sur la toile à la recherche des termes inconnus). Le gouvernement grec mis ainsi en œuvre le programme de réformes concocté par la troïka afin de satisfaire ses créanciers et obtenir en retour l'allègement promis de la dette; le traitement fut draconien, la potion amère, et, malheureusement pour nos amis grecs, ne servit à rien : les technocrates du léviathan européen ne se sentant pas liés par un pacte oral.    

Cinq années passèrent, des nouvelles élections législatives grecques furent organisées amenant à la tête du pays la « gauche alternative ». Les dirigeants grecs fraîchement élus ayant retenus les leçons du passé, ils souhaitèrent avant de poursuivre toute réforme une promesse de restructuration de la dette de nos fonctionnaires intègres de l'Union du Bien – Union Européenne –, mais cette fois écrite. Crime de lèse-europe! Comment les gouvernants de ce peuple de  tricheurs osaient exiger une promesse écrite de nos respectables dirigeants européens? Un acte d'une telle outrecuidance ne pouvait rester sans réponse, les dirigeants grecs se firent donc rapidement signifier une fin de non recevoir; réponse qui provoqua, à la surprise générale, l'organisation d'un référendum ayant pour objet les propositions de la troïka; le long ballet des négociations était lancé.  

Le cynisme des gouvernants n'est pas nouveau, la duperie et la manipulation faisant partie de la tactique politique, l'attitude des politiciens grecs et européens ne peut être critiquée; non, si l'on doit juger sévèrement une institution, il me semble hélas! que ce soit une fois de plus l'institution médiatique qui, pendant  toute la campagne référendaire, ensevelit le peuple grec et ses dirigeants sous un tombereau d'insultes – « tricheurs », « irresponsables », « paresseux », « menteurs » et autres joyeusetés – laissant accroire que les grecs exigeaient de l'argent sans accepter de faire des concessions. Si cette attitude de nos médias aux ordres n'a rien de surprenant, ce qui l'est plus, c'est l'amnésie, la crédulité, et le panurgisme du peuple français, réactions qui par leurs répétitions finissent par être inquiétantes. 

La population de notre chère république paraît se complaire dans l'acceptation béate des propos tenus par les cohortes d'experts défilant sur les plateaux de télévision – les experts mêmes qui, un jour avant la crise de 2008, nous vantaient la stabilité du système bancaire. Autrefois connus comme un « peuple raisonneur », un peuple de philosophes et de scientifiques, les français semblent exceller désormais dans de nouvelles disciplines : l'européisme et le vivre-ensemblisme, ils se sont ainsi faits une spécialité d'ânonner, sur ordre, les leçons de bien-pensance distillées via le petit écran, sur des sujets aussi divers que la Grèce, l'Ukraine,  l'Europe, l'Islam, et autres sujets d'actualité; le point d'orgue ayant été atteint lors des attentats de Charlie hebdo où l'exécution de la partition préparée par notre oligarchie était tellement parfaite, qu'elle en était effrayante : observer un peuple applaudir les politiques responsables de l'état de délitement des forces de l'ordre françaises, après des attentats, a quelque chose de glaçant.

Enfin je parle de responsables, mais, en réalité, la beauté du régime démocratique réside dans la souveraineté populaire et donc l'irresponsabilité politique généralisée, le politique n'étant qu'un représentant élu à qui le pouvoir est délégué de manière temporaire par l'ensemble du peuple souverain, si bien que si dans l'Ancien régime le roi était responsable de la stabilité et de la pérennité de l'Etat, au contraire dans le régime démocratique où chaque citoyen est  en théorie responsable, plus personne ne l'est réellement. 

D'aucuns penseront que ma critique de la démocratie d'opinion et de la république est obsessionnelle, peut-être; mais, il me semble difficile aujourd'hui de se fier à un régime où un peuple matérialiste a délégué tous ses pouvoirs à des politiques ayant pour unique horizon leur réélection, et, où l'humeur dudit peuple est dictée par des médias dépendants d'intérêts privés. Difficile en somme de croire en un régime démocratique, libéral, hors-sol, reposant sur une addition d'intérêts particuliers. 

Ainsi, j'imagine que lorsque ce régime précaire sera à terre, la France définitivement humiliée, le peuple aveugle, nu et dépouillé,  et que ce dernier criera : « Qui a assassiné la patrie? », le représentant du peuple pourra lui répondre goguenard tel Ulysse ayant terrassé Polyphème : « Personne ».

La crise grecque et le mensonge d'Ulysse

Rédigé par Charles Marchenoir

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